Après Bulle, une odyssée et Azerty et les mots perdus, Polis comme des galets est le troisième volet du triptyque de Thierry Vincent consacré au thème du harcèlement.
Distribution
Objectifs pédagogiques
Par Isabelle Klaric
Après Bulle, une odyssée et Azerty et les mots perdus, ce projet destiné au jeune public est le troisième volet du triptyque de Thierry Vincent consacré au thème de la disparition.
Dans les deux précédentes créations, le personnage principal partait à la recherche d’un élément vital (l’eau, le langage) ayant fui les mauvaises pratiques de notre société (surconsommation, gaspillage, altération du vivre ensemble).
Avec Polis comme des galets, cette fois, c’est lui qui fugue et s’exile de la réalité blessante. Son entourage (parents, camarades de classe) ne le ménage pas. Il fait bloc, non pas autour, mais contre lui : dur comme un roc, sans amour, sans tendresse, minéral et violent. Alors, l’enfant se réfugie dans un endroit aussi vide et tranquille qu’une page blanche où tout est encore possible, où il pourra inventer son espace de liberté.
Polis comme des galets aborde plusieurs sujets forts : la solitude, l’identité et l’image de soi à restaurer, le phénomène du harcèlement et le silence qui le couvre, la parentalité c’est-à-dire le rôle des parents ou plutôt ici, le défaut de parentalité, enfin le climat de violence dans lequel grandissent certains enfants.
Polis comme des galets évoque l’enfance en souffrance, en mal d’amour.
« La vérité sort de la bouche des enfants. » sonne le début de la pièce. Cette vérité en ferait des êtres plutôt sympathiques, dignes de confiance et d’intérêt ! Mais Polis comme des galets nous rappelle aussi la vérité que toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre. Ainsi, est mise en scène une vérité qui dérange : « Il y a des enfants qui souffrent de solitude». Malgré les jouets, malgré la télé.
Cela paraît inacceptable et pourtant… Les personnes âgées souffrent aussi de solitude. Mais cette vérité fait moins mal à la société. Après tout, croit-on, ils ont eu leur temps, ils en ont bien profité. Alors comme des vieillards délaissés, ces enfants ne s’en plaignent pas ou plus. Leurs voix s’éteignent, ils préfèrent se taire car ils en sont conscients, leur vérité de souffrance reste trop dure à avaler.
Sémélé, le personnage féminin représente cette enfance mutique. Sans le savoir, elle est le porte-parole des enfants silencieux, par timidité ou résignation, par peur de se tromper, du ridicule ou des représailles.
L’identité comme terrain vague. « Je est un autre. ».
L’identité est remuée dans ce spectacle. Comment se construire quand les autres renvoient une image négative de soi-même ? Ces deux jeunes en devenir se font démolir par leur entourage. On leur a collé une étiquette sur la peau : le moche, le gros, le petit, le « bolos ». Difficile d’effacer un numéro d’écrou.
Pour s’en défaire, le personnage procède à un choix : se réapproprier son identité, quitte à s’en inventer une. Voilà sa stratégie de survie. L’enfant cache son vrai prénom car il ne lui convient pas. Il préfère le nom d’un héros grec, Thésée. Avec un nom pareil, comment ne pas se sentir plus fort, presque invincible !
Thésée croise Sémélé, personnage énigmatique. Amie imaginaire ? Alter ego au féminin ? Reflet de miroir ? En tout cas avec elle, il lui est possible de s’exprimer librement et de livrer sa profonde et authentique identité qui s’avère double.
Les liens familiaux et amicaux dégradés, les martyrs des cours de récréation.
Les deux parents font bloc. Ils ont trop de travail, s’aiment trop, fusionnent comme une hydre à deux têtes. Pas de place pour l’enfant. Ils disent qu’ils l’aiment quand ils en ont le temps. Mais on le sait bien, le temps manque toujours. Le portrait des parents dépeint des gens peu à l’écoute, débordés par leur emploi du temps et la complexité du monde.
Cette œuvre interroge les enfants sur les recours qu’ils emploient pour se protéger contre la violence à laquelle ils sont malheureusement confrontés, exposés, voire contre leur propre potentiel de violence.
Polis comme des galets aborde sans détour le harcèlement dans le but de nouer un dialogue avec les victimes, les auteurs possibles de cette violence et ceux qui en sont les spectateurs. La prévenir, l’empêcher, l’arrêter.
La pièce est marquée par l’inquiétude que les enfants subissent avec beaucoup de pression. Comment grandir et s’en sortir quand on n’est pas poli comme un galet ?
L’imagination féconde, le jeu libérateur, la poésie salvatrice.
Ces sujets sont évidemment graves mais le recours aux jeux ludiques entre les
personnages permet de gagner un terrain ouvert et dynamique qui transpose la réalité violente et fait trouver des solutions. Le désespoir n’est pas de la partie.
Le jeu pour le personnage est une thérapie, par le plaisir, il permet de comprendre, de retrouver de la joie de vivre, d’empêcher de partir à la dérive, de se murer dans le silence.
Car, pour que la petite muette retrouve sa voix et son sourire, l’enfant va lui proposer plusieurs jeux drôles : des jeux de mots avec le grommelot, des jeux d’apparence avec le jeu du miroir et ironie du sort, en guise de jeu de société, une partie de Solitaire.
Partie dangereuse dont le poète les tirera : si la solitude peut être un refuge, elle devient au bout du chemin un piège. La poésie fait sortir de l’impasse, elle offre la beauté des mots en guise d’arme et permet de surmonter les obstacles.
La politesse, un appel à la bienveillance
Des enfants dans le public demanderont sans doute : « pourquoi ce titre ? Un galet, ça n’est pas poli ! » Et pourtant… Pierre polie par le temps et la mer, douce au toucher mais dure pour les pieds, elle nous rappelle que si la politesse a tout l’air d’une surface lisse, le respect qui la sous-tend, lui, ne peut s’écraser si
facilement. Alors en fin de compte, pour un savoir-vivre en société, les uns avec les autres, regardons bien les plages : il faut l’être, polis, polis comme des galets.
Et si le galet pouvait être aussi bienveillant envers notre pied qu’il le montre à l’égard de notre main. Si la bienveillance pouvait se généraliser, quel monde pacifié serait le nôtre ? C’est l’invitation du poète, figure de l‘adulte bienveillant qui ne juge pas mais tend la main à l’enfant pour participer à la fête de la vie et changer le cours de son histoire.
Louanne et les motards contre le harcèlement scolaire
Émission LES PIEDS SUR TERRE par Sonia Kronlund, sur France Culture
Le temps passe
Par Louise Clary, professeure de philosophie
Les étoiles s’éloignent. Les vagues vont et viennent.
La surface des galets devient de plus en plus lisse. Inéluctablement.
Les hommes émerveillés, au détour d’une promenade,
admirent la sagesse des galets.
Les galets peuvent s’accumuler et former des montagnes. Les hommes, spontanément, ne se supportent pas. Pour vivre ensemble, ils doivent revêtir leurs relations d’un voile adoucissant : la politesse. L’homme poli est un funambule, dans un équilibre précaire entre la rudesse et l’hypocrisie. Mais l’homme poli peut atteindre la quintessence de sa nature : alors qu’il a appris à supporter autrui, il se surprend à le comprendre et à l’aimer. La politesse peut se contenter d’être une contrainte sociale mais elle peut être aussi une propédeutique à la bienveillance.
Naître méfiant, apprendre la politesse, embrasser l’altruisme. Librement.
Savoir parler, savoir écouter, savoir garder le silence, savoir comprendre, savoir apprendre, savoir contempler, savoir s’émerveiller, savoir aimer.
L’homme ne se contente pas de vivre. Il existe.
L’ataraxie oscille entre solitude et joie de vivre en commun.
Personnages, comédiens et spectateurs interagissent.
Le pouvoir du théâtre : Faire ricocher
Certaines Idées
Dans nos esprits.